Gérard Philipe
Né à Cannes en 1922 mort à Paris en 1959. Acteur français. Malgré (ou à cause de) sa très brève carrière, il est considéré, en France et à l'étranger, comme l'archétype du comédien français moderne de l'après-guerre.
De l'Ange de Sodome et Gomorrhe (Giraudoux, 1943), son premier succès à la scène, au secrétaire Vaquez, sa dernière prestation dans La fièvre monte à El Pao (Luis Buñuel, 1959), il aura traversé quinze ans de théâtre (vingt pièces) et de cinéma (trente films), alliant à des talents vite reconnus de jeune premier et de séducteur un réel goût du risque artistique, une volonté de se renouveler et un engagement d'homme public qui, à son niveau de célébrité et pour son époque, n'ont guère d'équivalent. Les témoignages de ses contemporains s'accordent à dire qu'il fut un comédien d'exception.
Gérard Philipe n'est pourtant ni l'inventeur ni le dépositaire d'un style ou d'une école, mais bien plutôt d'une "manière d'être l'acteur de soi-même" ; construisant ses rôles à partir de sa propre personnalité, il semble pratiquer en un premier temps une sorte d'extrême identification qui, en un second temps, révèle et met à nu mobiles et contradictions du personnage représenté. Dès Caligula (Camus, 1945) au théâtre, et le Diable au corps (Claude Autant-Lara, 1947) au cinéma, les éléments de ce qui allait devenir sa légende sont mis en place. D'un rôle qui n'était pas prévu pour lui (Caligula) à un autre pour lequel il se sentait trop vieux et qui fit scandale (le Diable au corps), Gérard Philipe triomphe, imposant un mode de représentation qui déjoue déjà les valeurs de son temps.
C'est grâce à sa rencontre et à son travail avec Jean Vilar (1951) que vont se révéler tout à la fois la richesse de son talent et son besoin profond de diversifier une image que les modèles cinématographiques de production et de distribution tendaient par ailleurs à uniformiser. D'un côté, Vilar, par ses exigences de mise en scène, lui propose une "dure école" (Gérard Philipe) où pourront s'exprimer leurs communes aspirations à un théâtre populaire, empreint de rigueur et de simplicité, théâtre dont l'acteur reste la figure centrale ; de l'autre, Gérard Philipe offre à son metteur en scène son statut de vedette et une position dominante dans ce qu'il est convenu d'appeler le "star-system" ; toutes choses qui ne peuvent que servir les desseins de Vilar dans sa recherche d'un nouveau public. Ainsi on n'oubliera pas que c'est le triomphe de Gérard Philipe dans le Cid et le Prince de Hombourg (Kleist) que Vilar se verra confier la direction du Théâtre National Populaire. De même, prenant conscience de l'essouflement de sa carrière cinémato-graphique après quatre ans passés loin du T. N. P., Gérard Philipe y reviendra en 1958-1959 ; manière de se ressourcer ; manière aussi de retrouver son véritable "point d'ancrage artistique". Il participe alors à la création des Caprices de Marianne, de On ne badine pas avec l'amour, et à la reprise de Lorenzaccio, trois pièces de Musset, trois grands rôles du répertoire à qui il prêtera une profondeur et une amertume inhabituelles qui font encore date.
Loin des "jeunes premiers héroïques" (Fanfan la Tulipe, Christian-Jaque) ou des "doux rêveurs faméliques" (le Figurant de la Gaîté, A. Savoir), Gérard Philipe est aussi l'homme d'un idéal choisi dès la Libération. Compagnon de route du parti communiste français, signataire de l'appel de Stockholm pour le désarmement, metteur en scène "engagé" - il cherchera par deux fois à imposer les pièces du poète Henri Pichette (les Épiphanies en 1949, Nucléa en 1952) -, il est élu en 1958 président du Syndicat français des artistes et ne cessera jusqu'à sa mort (25 novembre 1959) d'essayer de faire coïncider les exigences de son art, les secrets de sa vie privée et une certaine éthique très éloignée de la "société du spectacle" en gestation, dont il reste, paradoxalement, un des premiers fleurons.
Bibliographie
D.G. Gabilly
in Dictionnaire Encyclopédique du Théâtre, Éditions Bordas